janv. 12, 23

Les objets ont une histoire 🏺

À la découverte de la faïencerie de Longchamp

Attention les fashionistas, nous ne sommes pas sur l’avenue Montaigne à Paris ! Pas du tout.  Mais bien en Bourgogne, à proximité de Dijon. On oublie la maroquinerie. On parle de faïence !

Toit toit mon toit

 Notre histoire commence vers 1832, lorsqu’un entrepreneur d’Auxonne, M. Phal, décide de fonder une tuilerie à la sortie de Longchamp. Ce n’est alors qu’un village de 532 habitants.

La présence de grandes forêts propres à alimenter les fours à bois, et celle d’anciens marais, avec des filons d’argiles abondants et de qualité, sont sans doute pour beaucoup à l’origine de ce choix. D’autres poteries, dont celle de Villers-les-Pots, étaient d’ailleurs installées à proximité. La fabrique de tuiles démarre bien, tuiles plates, en écailles, brunes, souvent vernissées. Rapidement on y adjoint une petite faïencerie qui ne produit que quelques objets utilitaires du quotidien.

Les frères Charbonnier 

Pourtant l’entreprise ne prend véritablement son envol que trois décennies plus tard, lorsqu’en 1868 les frères Charbonnier rachètent l’affaire. Marcel, l’aîné, a 29 ans, son frère, Robert, 22. Ils viennent d’hériter de leur père et investissent dans cette entreprise. Ainsi naît la Poterie de Bourgogne. Parisiens, d’origine bourguignonne, ils ont de l’ambition et déjà quelques connaissances des progrès faits dans la fabrication de la faïence. En particulier du développement fabuleux de la faïence fine qui, sans doute mise au point par Josiah Wedgwood, apparait en Angleterre au milieu du XVIIIème siècle. Cette faïence fine, blanche cherchait alors à imiter la porcelaine, avec un coût de fabrication bien moindre. Ingénieur Centralien, Marcel, qui a les pieds sur terre, s’embarque aussitôt pour l’Angleterre et se rend dans le Staffordshire, à Stoke-on-Trent, la capitale de la faïence. Il y découvre les derniers avancements technologiques. Il en revient accompagné d’un ingénieur anglais, M.Abbington.

Au début, la faïencerie ne change néanmoins pas ses habitudes et limite sa production aux objets de ménage usuels réalisés dans une « pâte de granit » assez proche de celle utilisée dans la faïence anglaise.

La guerre de 1870 met la faïencerie en veilleuse. Manque de chance, en 1873 un incendie ravage les ateliers. Il faut tout rebâtir. En 1878 c’est le déclic : la renommée de l’Exposition Universelle qui ouvre ses portes en mai à Paris, met l’accent sur la qualité parfois exceptionnelles des faïences exposées. Saint-Clément, Lunéville, Creil, Choisy-le-Roi empochent des médailles. Fort de cet exemple, Robert Charbonnier décide de se lancer à son tour dans ce type de faïences soignées et créatives. En 1887 Robert rachète la part de son frère, et devient le seul manager de la faïencerie. Commence alors l’heure de gloire de Longchamp.

Fleurs à gogo et éclosion de la faïencerie ! 

On s’oriente alors vers une production plus luxueuse qu’on produit encore parallèlement à la faïence de ménage. Ce sont souvent des grands plats décorés de fleurs aux coloris suaves. Les fleurs, iris, pivoines, bleuets, coquelicots, marguerites, chrysanthèmes …, sont décrites dans des bouquets d’un goût naturaliste, sans doute influencé par le japonisme alors en vogue ! On est alors plus près de l’impressionnisme que de l’Art Nouveau.

 

D’une grande finesse d’exécution, ces grands plats, sans doute purement décoratifs, ont ouvert le chemin vers la production de services de tables également fleuris. Nous sommes à la fin du XIXème siècle, Longchamp est entré dans la cour des grands faïenciers et sa vaisselle rivalise avec celle des plus prestigieuses maisons. On a remplacé l’argile par du kaolin et la cuisson se fait désormais dans des fours au charbon.

Les fleurs envahissent les services de tables, isolées ou en bouquets, comme sur le célèbre service « Trianon », dont le décor est d’un total raffinement.

Modèle Trianon

Fort de ses succès, Robert Charbonnier (la production est alors estampillé Longchamps et C.R.) varie les thèmes. Vers 1895 il crée un service complet inspiré du monde de l’équitation qui fera date. Nommé « La Guérinière » il reprends les illustrations d’un livre de Louis Vallet (1856-1940), « Le chic à cheval », paru quelques années auparavant. C’est un succès.

Modèle La Guérinière

Les barbotines

Les premières barbotines sont également produites à cette époque. Elles sont caractéristiques par la finesse et l’exubérance de leur exécution. Tout à fait conforme à l’esprit Art Nouveau, le décor est totalement naturaliste. Fleurs et fruits, en fort relief, viennent enjoliver les plats et les pièces de forme. Les plats décoratifs, agrémentés de fruits en relief, grandeur nature, pommes, poires, raisins, cassis... deviennent l’image de marque de Longchamps.

Plat décoratif en barbotine à fort relief, emblèmatique de la production Longchamp

S’en suivent, la production de petits bibelots, des tirelires en forme de fruits ou des petits vide-poches, modèles réduits de chaussures, très en vogue à la Belle Epoque.

Tirelire en barbotine

Les fleurs en reliefs deviennent la spécialité de la marque. La faïencerie profite de ce savoir-faire dans une importante production de fleurs de cimetière. Viennent ensuite des modèles plus traditionnels, en particulier les nombreux services à asperges ou à fruits de mer, les huitres en particulier, qui restent les modèles classiques de la firme.

En 1905, Robert décède. Ses fils, René et Edouard, prennent la relève. Pas pour longtemps. La faïencerie est confiée quelques années après à Gaétan Moisand, le gendre de Robert Charbonnier, qui prend les rênes de l’entreprise en 1912 et qui la dirigera jusqu’en 1945.

Dès son arrivée Gaétan Moisand fait appel à un lointain cousin, Maurice Moisand, peintre animalier d’un certain renom qui crée le service « Chasse » : des scènes cynégétiques agrémentées d’aphorismes tirés d’un livre de 1841 sur la chasse d’un certain Théophile Doyeux .

Modèle "Chasse"

La production se poursuit durant la Grande Guerre de 14-18. On fournit alors casernes et hôpitaux en vaisselle et nécessaires de toilette, brocs et cuvettes. C’est Hélène Charbonnier, l’épouse de Gaétan, qui assure à cette époque la direction de la faïencerie.  Mais, une fois le conflit terminé, elle abandonne, peut-être à contre-cœur, ses fonctions. Certes, les femmes avaient assuré le fonctionnement de l’économie pendant la guerre, mais, était-il envisageable pour une femme, en 1919, d’être le PDG d’une entreprise de la carrure de la faïencerie de Longchamps ! On lui confie néanmoins l’atelier de décoration : 100 personnes y travaillent. Les années 20 sont propices. Les Grands Magasins se dotent d’ateliers de décoration : Primavera au Printemps, La Maîtrise des Galeries Lafayette, Pomone au Bon Marché, Studium dans les Grands Magasins du Louvre… la faïencerie de Longchamp compte parmi leurs fournisseurs.

Les commande affluent, et les livraisons de vaisselles se chiffrent en tonnes ! Les nécessaires de toilette, brocs et cuvettes mais aussi porte savons, et séries de boîtes pour les produits de beauté, arrivent en tête des ventes.

Les services de toilette : un des succès de Longchamp dans l'entre-deux guerres

Pourtant la généralisation de l’eau courante, au cours des années 20-30 et la généralisation des « cabinets de toilettes » portent un coup fatal à cette marchandise. Longchamp connaît alors une mauvaise passe.

En 1945, Gaétan Moisand décède. Son fils, Henry arrive aux commandes, épaulé par sa mère.

Le goût du renouveau

Commence alors une période faste, celle des 30 glorieuses. Epuisée par la guerre, la production de vaisselle reprend de plus belle, en dépit du manque de matières premières. Les motifs se simplifient, souvent fleuris mais monochromes ou bicolores. Perpétuant l’héritage de son père, Henry fournit toujours des modèles spécifiques au Printemps pour Primavera, à l’époque de Colette Guéden.

Soupière années 50 au décor raffiné typique de Longchamp

Les années 50 sont prospères. Les décors se libèrent, sous l’influence de la peinture abstraite et l’engouement pour le « Tachisme ». Henry Moisand privilégie alors la qualité, visant une « qualité française » propre à faciliter l’export. Pour ce faire il fait appel à un céramiste de renom, Robert Picault, implanté à Vallauris où, dans un style très identifiable, il propose services de table ou luminaires. Il rejoint Lonchamp vers 1966 et crée des services de table, des services à poissons largement diffusés.

Dans les années 1960, l’entreprise produit 4 millions de pièces par an distribuées par les plus prestigieux magasins français et par les grands magasins (Printemps,  Samaritaine, Bon Marché et Galeries Lafayettes…). Malheureusement les années 80 sonne la fin de l’aventure . L’usine sera rachetée en 1990 par Villeroy & Boch qui n’exploite plus la marque et fermera défivinitivement en 2009.

 

 Texte : Marine Doré et Pierre Faveton

 

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