juil. 06, 22

Les objets ont une histoire 🏺

L'histoire de verreries au caractère bien trempé !

Plusieurs générations d’élèves les ont connus sur les tables du réfectoire ou de la cantoche. Les verres « Gigogne » sont vieux comme le monde…ou presque. 

Un verre best-seller 

Le premier exemplaire date de 1946.  Après 76 ans de bons et loyaux services, il est toujours en vente. Le verre « Gigogne » dites-vous ? Mais oui, c’est le gobelet tout rond de Duralex, celui qui s’empile. D’où son nom ! Il était réputé incassable. Parfait pour les élèves turbulents. Des générations d'écoliers ont comparé leur « âge » à partir du chiffre inscrit sur le fond de chaque verre. Il s'agissait en réalité du numéro de l'empreinte de l'un des 50 moules servant à la fabrication des verres. S’il y avait un défaut, on trouvait tout de suite le coupable. C’est avec ce gobelet que Duralex a fait une entrée fracassante dans l’univers de la vaisselle.

Verre Gigogne Duralex

 

Ultra résistant, le verre « Gigogne » est en verre trempé.  Une technique mise au point longtemps avant mais qu’on n’utilisait pas encore dans l’équipement ménager. Duralex n’était pourtant pas le premier à mettre sur la table des objets en verres spéciaux.

 

Des verres de lampes aux théières design

La palme de l’ancienneté revient sans doute à un certain Otto Schott (1851-1935). Après une solide formation de chimiste dans plusieurs universités allemandes, Otto Schott est de retour à la maison, à Witten, dans la Ruhr. Il poursuit ses expériences et met au point un verre optique aux qualités jusque là inconnues. Il se spécialise, et, pour concurrencer les produits anglais qui en avaient le monopole, il commence à fabriquer des verres pour microscopes. En 1884 il s’associe avec Ernst Abbe et Carl Zeiss et, à 3, ils fondent un laboratoire qui deviendra plus tard la « Jenaer Glaswerk Schott & Genossen » (aujourd’hui, Schott AG).

En 1887 il met au point un verre réfractaire au borosilicate beaucoup plus résistant à la chaleur. A cette époque on s’éclairait encore avec des lampes à pétrole ou au gaz : il fabrique donc des verres de lampes. C’est un succès économique. En 1909 l’entreprise compte plus de 1000 employés.

En 1919 Walter Gropius (1883-1969) fonde à Weimar, le Bauhaus, une école d’architecture et de design à la pointe de la modernité. Un élève de ce Bauhaus, Wilhelm Wagenfeld (1900-1990) dessine pour Schott, vers 1934, une théière entièrement en verre, qui résiste bien à la chaleur. Le design est minimaliste, typique des années 30, conçu pour une fabrication industrielle.

 Théière dessinée par Wagenfeld pour Schott

 

 C’est devenu, depuis, un objet de musée !!! Wagenfeld dessine aussi pour la même marque, d’autres objets en verre, dont des cuit-œufs tout aussi recherchés !

 

Cuit-œuf dessiné par Wagenfeld pour Schott

 

Mais l’invention de ce verre résistant à la chaleur connaît une autre destinée autrement plus déterminante.

 

Un plat à tartes révolutionnaire

On traverse l’Atlantique.

Directeur de recherche chez Corning Glass Works, Eugene Sullivan développe en 1908 le Nonex, un verre proche de celui qu’avait mis au point 20 ans plus tôt Otto Schott. Il faut dire que Sullivan a auparavant étudié les qualités du verre au borosilicate lors de son doctorat à Leipzig.

W.C. Taylor, en 1912 améliore la recette d’Otto Schott. On vend alors des verres pour les réverbères.

Mais c’est lorsque Jesse Littleton demande à Betty, son épouse, de faire cuire une tarte dans un récipient en verre Nonex, qu’il découvre le potentiel de ce verre dans la cuisine et qu’une page se tourne réellement.

En 1915, le Nonex est rebaptisé Pyrex. Et, en 1916, c’est avec ce fameux plat à tarte que la formidable aventure de Pyrex commence. Sortent ensuite des plats allant au four, des cocottes avec couvercle, des boîtes de conservation…

Dès 1922, le Pyrex arrive en France. La verrerie de Bagneaux-sur-Loing commence à fabriquer, sous licence américaine, ce verre Pyrex. Cette verrerie, qui fut un temps verrerie royale, avait été racheté par Saint-Gobain quelques années auparavant, On y commercialise d’abord de la verrerie, en particulier de grosses bonbonnes utilisées dans les usines chimiques. On se lance ensuite dans la fabrication des tubes et ampoules nécessaires pour l’industrie radiophonique. Mais c’est dans les années 30 que la production d’ustensile de cuisine Pyrex démarre lentement, avant de connaître un succès colossal dans les années 50. C’est alors un formidable boom. Le Pyrex devient l’indispensable accessoire de cuisine.  Et l’appellation même de Pyrex devient un nom de marque lexicalisé. On dit « du Pyrex », comme on disait en France à la même époque un Frigidaire…

 Pyrex fabrique ou fabriquait des plats, des moules à cake, à soufflé, mais aussi des tasses à café, des services à thé et même des coquilles Saint-Jacques pour faire gratiner les fruits de mer.

Coquille a fruits de mer Pyrex 

La production française, dans ces années 50-60-70, n’a néanmoins pas la variété de la production américaine qui proposait alors des plats ou ustensiles de toutes formes avec des décors imprimés à petits motifs colorés que les amateurs d’aujourd’hui collectionnent et se disputent.

Mamie sait faire un bon café

 Remontons de nouveau le temps.

Au XIXe siècle, sans doute vers 1830, apparaît une cafetière d’un nouveau genre : une cafetière à siphon ou cafetière à dépression. Un modèle expérimental !

Il s’agirait d’une invention allemande… mais, apparemment, c’est un écossais, James Napier qui en présente les premiers modèles…

Soyons simples. Il s’agit d’une cafetière avec deux boules superposées, reliées par un tube. La boule du bas est remplie d’eau que chauffe un petit réchaud à alcool. Le café moulu est déposé dans la boule du haut. Lors de l’ébullition l’eau monte dans la boule supérieure. Le café infuse alors, avant de redescendre dans la boule du bas. Prêt à être dégusté.

Il faut attendre le début du XXème siècle, vers 1910, pour qu’une cafetière à siphon soit produite en série et commercialisée. C’est la Cona, elle est anglaise et devient rapidement emblématique.  Elle est toujours fabriquée. Plusieurs autres cafetières apparaissent ensuite sur le marché européen : Hellem, en France, ou Bodum au Danemark qui en produit dès 1945 (la verrerie Bodum existe toujours). A partir de 1927, la cafetière Hellem est alors fabriquée à Lyon. Son nom provient des initiales de son créateur, Louis Martinent. Les boules sont en Pyrex. Très caractéristique par son look typiquement laboratoire, cette cafetière Hellem a, pendant longtemps, eu la réputation de faire le meilleur des cafés-maison… L’aventure a duré jusqu’en 1978.  Face à la concurrence grandissante des cafetières électriques, moins encombrantes et d’utilisation plus aisée, Hellem a cessé son activité.

 

 Cafetière Hellem Pyrex

L’épopée du verre trempé

Dès l’immédiat après-guerre le verre trempé va révolutionner la vaisselle.

Le procédé n’est pourtant pas tout neuf. Il remonte apparemment au XVIIIème siècle. On découvre alors qu’en plongeant du verre en fusion dans l’eau froide on en renforce notablement la résistance. Mais, entre connaissance et savoir-faire, il se passe du temps, plus d’un siècle avant que Saint-Gobain ne dépose, en 1929, le brevet du verre Sécurit. Le verre est chauffé à très haute température dans un four avant d’être brutalement refroidi au moyen de jets d’air froid.

Dès lors, Sécurit devient une appellation usuelle. Mais, à cette époque, ce type de verre est essentiellement utilisé dans le monde de l’automobile, en particulier pour la fabrication des pares-brises et des phares.

L’utilisation du verre trempé connait néanmoins, dès les années 40, une nouvelle destinée, et entre désormais dans la vie quotidienne des Français. En 1945 une nouvelle marque apparaît, Duralex, qui produit de la vaisselle à la fois bon marché et résistante. (Les latinistes reconnaîtront la citation latine : Dura lex, sed lex : La loi est dure, mais c’est la loi ).

La verrerie qui produit désormais Duralex a été créée vers 1925 à La Chapelle-Saint-Mesmin à proximité d’Orléans, dans le val de Loire. Rachetée en 1930 par le parfumeur René Coty, elle sert alors essentiellement à la production de flacons de parfum. Avant la guerre, Saint-Gobain rachète la verrerie et, tentant de diversifier sa production, décide de produire de la vaisselle pour un emploi quotidien.

En verre trempé, elle est plus solide et réputée incassable. Plus résistante aux chocs que la traditionnelle faïence qui s’ébrèche et se fêle facilement. Ce sont d’abord les marchés des réfectoires, des écoles et des cantines d’usines qui sont visés. Le verre « Gigogne », avec sa ligne minimaliste, en devient le produit phare. Mais Duralex ne se contente pas de ce verre mythique et propose assiettes, plats, saladiers, assortis. Le tout en en verre incolore et transparent. Le succès est au rendez-vous. 10 ans après la collection « Gigogne » Duralex lance en 1954 une nouvelle ligne et un nouveau verre : le verre « Picardie ». Sa forme évasée et galbée, assez féminine, avec des pans coupés en fait l’archétype des « verres à la française ». C’est sous ce vocable que le « Picardie » part à la conquête des marchés internationaux. Les assiettes assorties sont doucement festonnées.

Verre Picardie Duralex

Par la suite, Duralex complète ses gammes en introduisant du verre coloré, mais encore transparent. Les teintes, ambrée et vert émeraude, deviennent emblématiques de la marque. Les formes évoluent avec les époques.  Dans les années 60 le style tend vers plus de rigueur et de douceur à la fois. L’impact Courrèges est passé par là !! Les assiettes carrées supplantent les formes strictement circulaires d’avant. Le carré s’adoucie avec ses angles doucement arrondis. La gamme en profite pour s’élargir. Les verres et les assiettes sont proposés dans différentes tailles. Les tasses à café font leur apparition… c’est la période glorieuse de la marque. C’est aussi l’époque où Duralex,  Vereco, "les verreries du Gier". Les modèles de Vereco sont finalement assez proches de ceux de Duralex.

Dans les années 80 la marque lance la collection « Beau Rivage » assez rétro, à effets torsadés et en verre rose.

Service modèle Beau Rivage Vereco

Quelques décennies plus tard la marque a quelques difficultés financières et est finalement rachetée par Pyrex.

Renaissant de ses cendres, Duralex a récemment créé une nouvelle collection : « Lys », beaucoup plus sobre et rigoureuse : les verres, saladiers et autres plats creux ont simplement leur crête légèrement évasée. Déclinée dans plusieurs coloris, ils sont conçus pour pouvoir s’associer avec des modèles différents, suivant cela la mode des tables dépareillées. Fier de sa notoriété, Duralex présente néanmoins toujours à la vente ses modèles historiques antérieurs.

 

Luminarc et Arcopal

Le verre à boire le plus emblématique représentatif de l’immédiat après-guerre, le verre de tous les jours, qui s’est retrouvé sur toutes les tables françaises d’alors, a été fabriqué par la Verrerie d’Arques, une verrerie en plein essor, à Arques, une petite ville du Boulonnais. Il date de 1948. Il s’agit d’un verre aux formes arrondies, en verre rose, posé sur un piédouche bas en forme d’étoile. Etoile est d’ailleurs son nom. C’est le joyau des années 40.

Créée en 1825, la Verrerie d’Arques prend de l’ampleur tout au long du siècle. En 1897, Georges Durand, un employé de la firme en devient le directeur puis l’acquière en 1916. La verrerie se, développe. Entré dans l’entreprise de son père en 1927, Jacques Durand, entreprend plusieurs voyages aux Etats-Unis et en ramène des technologies innovantes qui permettent une production plus importante, en particulier une machine à souffler le verre. On est loin des souffleurs de verre d’antan…Dès les années 30, l’entreprise fait figure de pionnier.  La production du verre se mécanise. Au sortir de la guerre, la production repart de plus belle : c’est avec cette mécanisation de la production que le verre Etoile devient un best-seller.

C’est aussi à cette époque, en 1948, qu’est créée la marque, Luminarc, qui aura de beaux jours devant elle et qui existe toujours. Ainsi naît, au début des années 50 la collection « Givror » un service de verres avec carafe en verre givré souligné de filets d’or, très caractéristique de l’époque… et très copié !

En 1958 apparait sur le marché une nouvelle marque issue de la verrerie d’Arque, « Arcopal », qui remporte un succès phénoménal. Jouant sur le côté opale du verre, réhaussé de décors colorés, généralement des motifs floraux. Beaucoup de collectionneur s’en entichent aujourd’hui.

Dix ans plus tard, c’est la création de Cristal d’Arques, du cristal dont la fabrication est entièrement automatisée et les prix abordables. L’aventure commence avec un service de verres  qui évoque, sans le copier, le fameux service Harcourt de Baccarat, créé en 1841.

Porté par le design qui fleurit alors, (le mot design, apparaît en France dans le courant des années 60), le verre « Suède » établit en 1971 des records de vente. Influencé par le design sobre scandinave, il joue la pureté des lignes : un simple cylindre posé sur un pied plutôt épais. Le modèle est décliné dans toutes les tailles, verre à eau, à vin rouge, vin blanc, liqueur et coupe à champagne. Initialement transparent et incolore, il est par la suite proposé couleur ambre et bordeaux.

Avec sa couleur douce, un verre rose, et ses torsades, le service  « Rosaline » renoue avec un charme plus féminin.

Modèle Rosaline Arcoroc

Retour à la rigueur dans les années 80 avec « Octime », un service aux assiettes octogonales noires, sans décor. Les verres assortis, sont en verre transparent et incolore, posés sur un pied noir.

Modèle Octime Arcoroc

La petite verrerie d’Arques est devenue alors une multinationale au succès triomphant. La place qu’elle occupe encore aujourd’hui, en dépit de difficultés financières, reste néanmoins prépondérante.