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Les objets ont une histoire 🏺

À la découverte de la faïencerie de Sarreguemines

Paul Utzschneider et Napoléon

Cette fois l’aventure se situe à la fin du XVIIIe siècle et dans la même région. En 1790, Nicolas-Henri Jacobi , son frère Augustin et Joseph Fabry achètent un moulin à huile dans les faubourgs de Sarreguemines, une petite ville d’environ 2500 habitants. Ils créent à côté une petite « poterie ». En 1799  Augustin Jacobi décède et Paul Utzschneider (1771-1844) ,un jeune bavarois exilé à Strasbourg, achète à la veuve les parts  de son mari.  L’année suivante Nicolas cède à son tour ses parts.  Paul Utzschneider et Joseph Fabry créent  alors une société, «  Fabry-Utzschneider et Cie »

Utzschneider part en Angleterre pour y étudier les nouvelles techniques de la céramique alors en pleine révolution. Il y apprend la technique du cailloutage à l’origine de la faïence fine,  qui supplante rapidement la faïence traditionnelle. C’est en mélangeant de l’argile à du silex concassé et calciné que l’on obtient cette pâte blanche de la faïence fine

Avec son génie inventif et ses connaissances techniques Paul Utzschneider  va permettre à l’affaire de se développer  rapidement.  De plus, le blocus de l’Angleterre, premier fournisseur de faïences  en Europe, en gèle les importations. Moins de concurrence donc. Les faïenceries françaises en profitent. En 1804, l’année du sacre de Napoléon, la toute jeune faïencerie réalise un buste de Bonaparte. Est-ce une coïncidence, mais en 1809-1810, Napoléon  Ier fait une importante commande de vases et de candélabres pour les palais impériaux.

Buste de Napoléon, 1804

 

 Paul Utzschneider,  c’est un peu le golden boy de l’époque. Les achats napoléoniens lui donnent une aura précoce qui contribue à son succès et à sa renommée qui s’étend rapidement à toute l’Europe. Et le succès est là ! En 1812, 160 ouvriers font fonctionner sept fours à bois. On y produit des grès poli qui imitent ceux de Wedgwood, puis, quelques années plus tard, on utilise des terres colorées, rouges, brunes, jaunes, dites «Terres Carmélites » qu’on laisse, le plus souvent, sans décor, mais qui peuvent imiter les pierres dures, porphyre, jaspe, marbre…

Le succès des assiettes parlantes

Autour de 1830-40 apparaissent les « assiettes parlantes ». On les nomme aussi les « faïences imprimées ». Elles bénéficient d’une technique novatrice, la décoration par impression. C’est une innovation majeure qui exploite la porosité de la faïence fine. Aux plaques de cuivre initialement utilisées, succède un nouveau procédé d’impression qui se généralise et utilise des plaques obtenues par galvanoplastie, reproductibles à l’identique et à l’infini. Une fois le décor posé, il suffisait de l’émailler.

Assiette parlante "à devinette"

 Le succès est phénoménal. Ce sont des milliers d’assiettes, le plus souvent des assiettes à dessert, qui sortent régulièrement des fours. Les services sont composés de 12 assiettes, toutes différentes et numérotées, évoquant un thème particulier. Tous les thèmes sont abordés, souvent avec humour.  Tous les sujets sont traités ; l’histoire, la politique, l’opéra, le sport, les chansons, les proverbes, les dessins humoristiques, etc... Toutes les autres faïenceries se ruent sur le procédé. L’engouement pour ces assiettes imprimées dure jusqu’au début du XXème siècle.

En 1836, quand Paul Utzschneider   confie la direction de la faïencerie à son gendre, le baron Alexandre de Geiger, la manufacture  compte 300 ouvriers, qui font fonctionner 3 moulins, et 7 fours qui utilisent maintenant la houille, combustible bien plus performant que le bois.  Aux commandes de la faïencerie, il va développer son activité en améliorant les techniques de fabrication

La naissance des barbotines

Sous son influence la faïencerie s’industrialise. Pour éviter la concurrence, des accords sont pris avec Villeroy et Boch. Les faïence lustrées, façon « Jersey » produites auparavant sont abandonnées. Le nouveau boss vise la grande production. Vers 1860, copiant une nouvelle fois Minton, la faïencerie mythique  d’Angleterre, Sarreguemines lance les « Majolica ». Ce sont les premières barbotines. Le succès est fulgurant et la production immense. Elle franchira largement la fin du siècle, et sera encore produitee pendant le premier quart du XXème siècle. Ces premières majoliques sont montrées lors de l’exposition universelle de Paris en 1867.

Cache-pot en barbotine art nouveau, (1890-1910)

Faïences en relief,  (la barbotine est coulée et moulée), les barbotines épousent les formes  les plus diverses, toutes répertoriées et numérotées. Entre 1865 environ, et 1930, plus de 6000 modèles sont répertoriés.

Made in France 

 En 1871, c’est Paul de Geiger, le fils d’Alexandre, qui reprend la direction, alors que, cette même année, la  Lorraine germanophone (actuelle Moselle) est annexée et devient Allemande.  Du coup ça se gâte un peu, question finances familiales.  L’histoire se répète ?  Comme à Lunéville pour Jacques Chambrette, Paul Geiger va découvrir les taxes françaises. Ouille ça fait mal ! Aux mêmes maux, les mêmes remèdes. Paul Geiger va ouvrir deux usines en France, l’une à Digoin en 1877,  et  l’autre à Vitry-le-François en1881. Ce sont d’abords des entrepôts pour la production de Sarreguemines avant d’avoir une production propre. Digoin produira de la vaisselle courante, alors que Vitry-le-François se spécialisera dans la création de poêles, cheminées, carrelage et sanitaires.

L’annexion précipite le déménagement de la production. Très francophile, une partie des ouvriers émigre en France. Beaucoup rejoignent Digoin. La production de Sarreguemines ne faiblit pas. Une grande partie est écoulée en France par l’intermédiaire de Digoin et Vitry. Les créations suivent les aléas de la mode. Les influences sont diverses. Bien avant l’arrivée de l’Art Nouveau, la nature envahit déjà les décors.  Des fleurs très naturalistes, parsemées d’insectes, en touches légères, fraiches. On perçoit l’influence du japonisme. Le service de table « Papillon », créé en 1875, est emblématique de cette tendance.

Assiette service Papillon

Plusieurs autres services de tables resteront ainsi dans la mémoire de la firme. Vers 1903, un illustrateur peu connu, Henri Loux (1873-1907) envoie à la faïencerie 36 illustrations, 36 décors, décrivant des scènes campagnardes de l’Alsace au début du nouveau siècle. Le service est diffusé sous l’appellation « Obernai ». C’est un succès. Il sera produit sans interruption,  et l’est toujours actuellement.

Vaisselle service Obernai

 

L'essor de la vaisselle Digoin Sarreguemines

L’Armistice de 1918 entraîne le retour à la France de l’Alsace-Lorraine. Dans l’entre-deux guerres, la faïence envahit tous les ménages, toutes les tables, toutes les cuisines. La vaisselle Digoin-Sarreguemines est à la pointe du succès et produit près de la moitié de la faïence vendue en France. Seules les faïenceries du Nord apparaissent comme des concurrents sérieux.

Assiette Digoin- Sarreguemines, années 40 / 50. Modèle ODILE

Ruinée pendant la guerre de 40, la faïencerie de Sarreguemines renaît de ses cendres à la Libération. Les années 50-60 sont radieuses. Les décors flirtent avec l’abstraction, imposent des couleurs vives et franches, jouent sur la simplification des formes, les fleurs, qui reviennent en force à la fin des années 60, sont stylisées.

Assiettes fleurs stylisées, années 70

Les années 70 annoncent le déclin. La concurrence  féroce, le climat social, les investissements insuffisants entraînent la chute. Dans les années 80, la famille Fénal, qui possède déjà Badonviller, Lunéville et Saint-Clément lance une OPA sur Sarreguemines qui tombe dans leur escarcelle.  Sarreguemine se spécialise dans la fabrication du carrelage, c’était déjà une option non négligeable. La vaisselle se concentre à Saint-Clément. Sarreguemines ferme définitivement en 2007.

 

 Texte : Marine Doré et Pierre Faveton

 

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