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Les objets ont une histoire 🏺

À la découverte de la faïencerie de Badonviller

Avant d’être le nom d’une célèbre faïencerie française, Badonviller n’était, au tournant du siècle, qu’une petite bourgade, un village de 1700 habitants  en Lorraine, aux confins des Vosges. Au plus fort de sa croissance, la faïencerie comptait 1000 ouvriers : la faïencerie  irriguait la région.

L’histoire de Badonviller commence donc à la fin du XIXème siècle, avec un certain Théophile Fenal (1851-1905).  Il dirige déjà avec son cousin une briqueterie familiale à Pexonne, à proximité de Badonviller. Ce n’est pas la super entente dans la famille. Comme Théophile n’est pas du genre à se laisser abattre, il va, à 46 ans,  tout simplement ouvrir une autre faïencerie à seulement 3km de là ! La manufacture de Badonviller voit le jour en 1897. Au grand dam des cousins ! Vive l’ambiance des repas de famille !

Dès son origine, la faïencerie prône une production de masse. Les décors « fait main », coûteux, y sont peu pratiqués. Elle travaille cette « terre de fer »,  ainsi appelait-on la faïence fine au tournant du siècle. Elle était le plus souvent  décorée par transfert ou décalcomanie qui n’autorisait qu’une seule couleur. On trouve ainsi des assiettes terre de fer vert, des assiettes terre de fer marron, des assiettes terre de fer grenat et des assiettes terre de fer bleu (les plus rares). La plupart du temps, pour des raisons économiques et industrielles, les motifs se cantonnent aux bords des assiettes. Cette contrainte pratique est propice aux frises décoratives (paarfois poinctuées de médaillons) et motifs végétaux, alors franchement tendance (c'est l'influence de l'art nouveau).  Dès le XX eme siècle, l’aérographe ou « vapo » fait rapidement son apparition qui permet un décor polychrome. Toute les folies sont permises et le kitsch n’est pas absent du répertoire ! Ces faïences aux couleurs franches et aux dessins simples séduisent. Tout est fait pour séduire une nouvelle clientèle peu fortunée, soucieuse d’un peu de confort. A l’heure où l’eau courante n’entre pas encore dans toutes les maisons, la faïencerie de Badonviller multiplie les modèles de « nécessaires de toilette ». De grands brocs avec un bassin pour une « petite » toilette. C’est une clientèle modeste qui est visée.

Pour sa réussite, la faïencerie bénéficie  dès sa naissance, d’un climat social hors du commun. D’abord, ce sont les ouvriers  qui construisent eux mêmes la faïencerie où ils travailleront. Théophile Fenal y développe alors une politique sociale d’avant-garde : participation aux bénéfices pour les ouvriers, création d’une Caisse de Secours Mutuel, d’une caisse de Prévoyance, etc… Autant d’idées inédites et novatrices pour cette époque !

Crédit photo : La broc à bibi - www.homycrush.com

La réussite est rapide. Théophile ne la connaîtra hélas pas longtemps. Il décède en 1905. Son fils Edouard prend la direction. L’ascension continue. Bientôt la faïencerie compte jusqu’à 1000 ouvriers. En 1922 Fénal achètent les deux faïenceries de Lunéville et de Saint-Clément.

Crédit photo : Les jolies choses - www.homycrush.com


Afin de produire des collections aux décors travaillés et dans l’air du temps, Edouard fait venir des artistes que lui présente Victor Prouvé (1848-1943), un des apôtres de l’Ecole de Nancy.  Les céramistes Joseph et Pierre Mougin, et le peintre, sculpteur, imagier Geo Condé  intègrent la faïencerie. Le trio travaille  aussi pour Lunéville et Saint-Clément. Après ce rachat, Bernard, le fils d’Edouard, prend les rennes de la faïencerie dont le développement se poursuit tout au long de l’entre deux guerres. Misant sur une production bon marché, accessible à tous Badonviller multiplie les modèles, jouant sur des décors simples, aux couleurs franches, aux lignes souvent géométriques caractéristiques de l’Art Déco alors en vigueur. Pour abaisser les prix, la faïencerie s’équipe d’un matériel  dernier cri,  permettant de produire quotidiennement près de 100.000 assiettes.

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Après la guerre, les années 50 sont de nouveau florissantes. La création, inventive et sensible à l’esthétique de l’époque, est conçue pour une production massive.  Pourtant, dès les années soixante, l’apparition sur le marché d’une vaisselle en verre, solide, facile d’entretien et bon marché, Arcopal,  Duralex,  Vereco , Pyrex, concurrence sérieusement  Badonviller. Pour être plus concurrentiel, Badonviller fusionne en 1963 avec Lunéville et Saint-Clément. La crise de 70 sonne néanmoins le glas de cette réussite. Les affaires déclinent. Le succès ne revient pas. La faïencerie ferme définitivement ses portes en 1990, transportant le matériel à Saint-Clément où se concentrera  désormais la production.