févr. 16, 22

Les objets ont une histoire 🏺

À la découverte de la faïencerie de Saint Clément

Saint Clément, la faïencerie anti-taxes 

 Créée en 1758 par Jacques II Chambrette, déjà détenteur de la faïencerie de Lunéville, la faïencerie de Saint-Clément a été conçue pour échapper aux taxes que devaient payer la faïencerie de Lunéville, alors dans le duché de Lorraine (qui n'était pas en France) pour exporter ses faïences en France. La même année, Jacques II décède. La succession se passe mal. Entre Gabriel Chambrette, le fils de Jacques II et  Charles Loyal, le gendre, c’est « Règlement de compte à OK Corral » ! L’affaire traîne. Finalement, Charles Loyal rachète Saint-Clément avec l’aide de deux associés, Richard Mique, architecte du roi Stanislas (le roi de Pologne) beau-père de Louis XV, et le sculpteur Paul-Louis Cyfflé. Ce dernier revend rapidement ses parts et, quelques anné es plus tard, travaillera à la manufacture de Lunéville.

Des pots de fleurs a Versailles

Désormais résident à la Cour de Versailles, Richard Mique engrange d’importantes commandes pour Marie-Antoinette. Ainsi la faïencerie de Saint-Clément livre en 1785 deux mille pots à la Reine pour décorer le Petit Trianon. Quoique éloigné de sa faïencerie, l’influence de Mique est néanmoins réelle.

Aux formes tourmentées issues de la rocaille*, il préfère rapidement les formes droites et la rigueur à l’Antique dans le goût néo-classique du style Louis XVI. Il réalise aussi des statuettes néo-classique en faience Saint-Clément à partir des moules que Cyfflé lui vend en 1780. Mais la Révolution surgit, et, trop proche de la Cour, Richard Mique finit sur l’échafaud.

Réédition des pots Saint-Clément de Marie-Antoinette pour le Petit Trianon par le Manufacture Normand  

Saint-Clément, la Star Ac' du XIXème siècle

Après la Révolution, la faïencerie périclite et, en 1824 tombe entre les mains de Germain Thomas, qui la transmet à ses trois fils en 1840. Perpétuant la tradition de faïences artistiques, Saint Clément récolte alors des médailles aux différentes Expositions universelles qui ponctuent le XIXème siècle. On y fabrique des faïences fleuries, dans le goût du siècle précédent, ou des modèles également fleuris, souvent agrémentés d’un coq, mais dans un esprit et d’une facture plus populaire. La paysannerie parvient à cette époque à sortir de la misère, et l’achat d’une ou plusieurs assiettes est presque rituel. Jamais utilisées, ces assiettes trônent sur le vaisselier, meuble emblématique de la pièce commune.

Loin de délaisser les créations plus prestigieuses, la faïencerie de Saint Clément fait appel à des créateurs dont un certain Charles Gallé (1818-1902), artiste peintre et céramiste. C’est lui qui remet au goût du jour  les décors émaillés au bleu « de grand feu » qui, au XVIIème siècle avaient fait le succès de faïenceries comme Nevers ou Rouen.

Sans doute par son intermédiaire, son fils, Emile Gallé débutera dans la faïencerie de Saint-Clément , avant de devenir l’immense maître verrier que l’on connaît. Il produira divers sujets de formes, candélabres, vases, corbeilles aux formes échevelées, tourmentées et exubérantes dans un esprit plus Napoléon III qu’Art Nouveau. Un chat et un chien ornés de cœurs ont été redecouverts et sont devenus fameux dans les années 70, en pleine époque peace and love (regardez bien leurs yeux, ces animaux aimaient-ils la fumette ?).

 

Crédit : artlorrain.com

  

Crédit : auction.fr

Crédit : auction.fr

 

En 1892, les descendants de Keller et Guerin, déjà propriétaires de Lunéville, acquièrent Saint-Clément, réunissant à nouveau les deux manufactures. En cette fin du XIXème siècle, on voit apparaître en Angleterre les premières «majoliques » qu’on s’empresse de copier. On les nomme en France, « Barbotines » en référence à leur façon d’être fabriquées, en coulant dans des moules de la barbotine, une pate liquide, mélange de terre et d'eau. Sortent des ateliers de faience Saint-Clément, ces grands cache-pots aux teintes suaves pour jardins d’hiver, et des pichets en forme d’animaux, ( le coq ou le canard  ont été souvent réédités !),  mais aussi les charmants oiseaux d’ Henri Guingot  (1897-1952) joliment colorés à l’aérographe, ( on disait alors au « vapo »).

Crédit : royal-avenue.com

 

On craque pour les craquelés

 

Avec les Années Folles apparaissent les fameuses faïences craquelées et les sujets décoratifs pour dessus de cheminées. Sous l’impulsion d’Edouard Fenal, aux commandes de la faïencerie de Badonviller, qui rachète au début des années 20, Saint-Clément et Lunéville,  arrivent à Saint-Clément quelques artistes, sculpteurs, dont Charles Lemanceau (1905-1980) ou Geo Condé, qui sculptent des sujets décoratifs en faïence craquelée, animaux ou personnages, dans un esprit cubiste aux formes géométrisées et simplifiées, caractéristiques de l’Art Déco.

Pierrot cubiste vu par Geo Condé pour Saint-Clement

 

La tradition de ces sujets animaliers se poursuit dans les années 50, avec, en particulier, ceux de Charles Lemanceau, en versions colorées et brillantes, bordeaux ou vert émeraude, couleurs qui seront également utilisées pour la vaisselle et autres bibelots.

Canard en faïence craquelée de Saint-Clément de Charles Lemanceau 

Éléphants  de Charles Lemanceau

 

L’après-guerre s’annonce glorieux. Dans les années 50, le trio Saint-Clément, Lunéville, Badonviller assure un pourcentage important de la production française de faïence. La vaisselle y occupe une place de choix. Ce sont les assiettes, les soupières, les saucières qui nous plaisent aujourd’hui,  avec leur look vintage. Aux décors fleuris des années d’après-guerre, succèdent, dans les années 50, les décors non figuratifs très graphiques, issus de la vogue nouvelle de l’art abstrait.

Crédit : Homycrush

Un nouveau concurrent  de la faïence apparaît dès les années 50 sur le marché de la vaisselle ; les assiettes, bols, plats en verre  trempé, à priori incassables et qui se révèleront plus résistants aux agressions des lave vaisselles. De plus, les frontières s’ouvrant, les faïences étrangères, en particulier italiennes, puis ensuite extrême-orientales, arrivent sur le marché. Le déclin commence.

En 1978, la famille Fenal qui a déjà des parts dans la faïencerie de Sarreguemines lance un OPA et prend les rênes de Sarreguemines, la grande  concurrente et voisine.  Une nouvelle répartition s’élabore bientôt. Sarreguemines produira le carrelage qui, depuis quelques décennies, est une part importante de son activité. Lunéville et Saint-Clément  désormais  regroupées, produiront la vaisselle.

Dès 1981, la production va s’arrêter sur le site de Lunéville.  Seule Saint-Clément continuera de produire.

En 2006, la famille Fenal vend à un groupe qui détient déjà des manufactures connues ( faïencerie de Nidervillier, verreries de Portieux et de Vallerysthal) et une marque-mère « Terres d’Est » est créée.  L’usine de Saint-Clément continuera de produire faience et céramique sous les marques Lunéville, Niderviller et Saint Clément.

 

 Texte : Marine Doré et Pierre Faveton

 

👉 Pour shopper de la vaisselle vintage Saint Clément c'est ici !

 

 *rocaille : c'est un style du XVIIIème siècle (rococo) inspirés des volutes et formes un peu fofolles des coquillages (et crustacés), coraux, et autres réjouissances des fonds marins.